Dans un livre-témoignage, Betty Mannechez revient sur son enfance volée, violée par son père Denis, qui a assassiné sa sœur et son patron dans l’Eure, en 2014. Il est décédé en prison quelques jours après avoir été condamné. Rencontre.
Betty Mannechez publie un livre sur sa terrible histoire familiale. (Photo DR)
Dennis Mannechez en fauteuil roulant lors de son procès aux assises de l’Eure. (Photo AFP)
Violée par son père, qui a tué sa sœur dans un garage à Gisors, dans l’Eure, Betty Mannechez, âgée de 37 ans, mère de cinq enfants, raconte l’horreur de cet inceste dans un livre, Ce n’était pas de l’amour, coécrit avec le journaliste Julien Mignot, et paru aux éditions City (18,50 €). Paris-Normandie l’a rencontrée.
Votre enfance a été terrible avec un père tyrannique et violent qui a abusé sexuellement de vous et de votre sœur. Racontez-nous.
Betty Mannechez : « Notre famille, trois filles et deux garçons, était en apparence heureuse. Personne ne connaissait mon père, les gens ne voyaient de lui que sa moto, son avion, sa voiture… Mais derrière les portes de notre maison, Denis Mannechez, cadre dans l’informatique qui gagnait très bien sa vie, faisait régner la terreur. Avec lui, c’était marche ou crève. Nous étions sous l’emprise de ce gourou. Mon père partait travailler et nous devions effectuer toutes les tâches ménagères à la maison, et une fois rentré le soir, il vérifiait que tout avait été fait. Il était aussi violent et nous infligeait souvent des punitions terribles. Nous n’avions jamais un moment en commun, nous ne partagions rien en famille. Les garçons étaient séparés des filles, isolés dans un chalet à côté de la maison. Ma mère, femme au foyer, était complètement à sa merci. C’était l’enfer. Mon seul moment de respiration était en journée quand j’étais à l’école. »
Et très rapidement, les abus sexuels ont commencé…
« J’avais 8 ans la première fois. Un après-midi, il m’a pris par la main dans la cuisine et m’a fait monter dans sa chambre. Ma mère était absente. Il m’a déshabillée et violée sous la couette. Une fois parti, j’ai vu la porte de la chambre s’ouvrir, c’était ma grande sœur, Ninie (Virginie Mannechez, NDLR). Elle avait compris. Elle m’a pris par la main et au retour de notre mère, elle lui a dit : “Ce que papa me fait, il le fait aussi à Betty”. C’est à ce moment que j’ai su que ma sœur avait été aussi violée. Je savais qu’il y avait quelque chose de pas normal dans tout cela. J’attendais une réaction de ma mère, mais rien n’est venu. On n’a pu jamais reparler de cela et les abus ont continué ainsi pendant dix ans. »
Votre mère a été plus que complice ?
« Elle avait mis en place un planning pour savoir qui de moi ou Virginie, la préférée de mon père, montait dans la chambre de mon père chaque soir de la semaine. Elle a organisé aussi et participé aux viols. Je suis tombée enceinte à trois reprises, à 13, 15 et 17 ans. C’est elle qui a organisé les IVG dans des hôpitaux différents pour ne pas éveiller les soupçons. Elle nous mettait dans le lit de notre père et, en contrepartie, mon père lui laissait sa liberté et dépenser sans compter l’argent. Nous étions sa monnaie d’échange. »
Qu’est-ce qui vous a poussé à tout juste 18 ans, en 2002, à révéler aux gendarmes l’horreur de ce huis clos familial ?
« J’ai fugué, j’en étais à ma quatrième fugue. Mon père était toujours plus violent ; il avait braqué un fusil sur moi et ma mère à cause d’un mégot de cigarette retrouvé dehors. Je suis aussi partie parce que ma sœur Ninie attendait un enfant de mon père. Je ne pouvais pas cautionner cette situation. Je l’ai fait aussi pour mes deux frères qui étaient isolés, ne pouvaient pas voir leurs copains. Et puis, j’avais le sentiment que mon père allait finir par tous nous buter. »
Et huit mois plus tard, vous êtes revenue sur vos déclarations ?
« Mon père en prison, le fils qu’il avait eu avec ma sœur a été placé en famille d’accueil. Ma sœur en était malheureuse et elle était toujours sous l’emprise de mon père. Elle m’en voulait d’avoir dénoncé l’inceste. Je culpabilisais de cette situation, alors j’ai craqué. »
Et après ?
« Une fois sortis de détention, un peu moins de deux ans après mon dépôt de plainte, mes parents ont recommencé à vivre comme avant. Virginie s’est définitivement installée avec mon père et leur fils dans un appartement à Compiègne, malgré les interdictions judiciaires… Ma mère s’est installée dans le même immeuble un étage au-dessus. Moi, j’avais tout perdu, mon père sorti de prison, il étendait de nouveau son emprise sur toute la famille Mannechez. »
Vos parents ont été condamnés définitivement dix ans plus tard. Ça a été une victoire pour vous ?
« J’ai été dégoûtée du procès, je l’ai vécu comme un échec. La stratégie judiciaire des avocats de mon père était de dire que notre inceste était consenti. Les rôles ont été inversés, ça a été notre procès. Nous avions 30 ans à l’époque et notre voix, celle de l’enfant, n’a pas été entendue. Mes parents sont ressortis libres. Après l’énoncé du verdict, un magistrat est venu serrer la main de mon père en lui souhaitant d’être heureux. »
Et après le procès ?
« J’ai définitivement coupé les ponts avec cette famille qui s’était servie de moi pour le procès. Et puis j’avais ma famille, mes quatre enfants. Jusqu’à ce jour de septembre 2014 où mon père m’a appelée pour me dire que Virginie l’avait quitté avec leur enfant (aujourd’hui âgé de 19 ans, NDLR). Il n’avait plus de nouvelles d’elle depuis trois semaines. Ma sœur avait compris que sa vie n’était pas normale et qu’elle n’avait pas choisi mon père. Mais il l’a traquée et retrouvée dans ce garage. C’est quelques jours plus tard, par une cousine que j’ai appris la mort de ma sœur. »
Comment se reconstruit-on après avoir vécu pendant vingt ans dans une sphère aussi terrible ?
« Je vis à travers mon métier de serveuse et grâce à mes enfants. Et puis, il y a ce livre qui est important. Je veux qu’il serve aux enfants encore victimes de l’inceste ; qu’ils voient qu’ils peuvent casser leurs chaînes et avoir une vie normale. Mais bien sûr, on n’oublie jamais l’inceste, j’en garde les séquelles. Je suis décalée, je ne connais pas le monde, Paris. J’ai grandi trop vite. »

Le 21 décembre 2018 au matin, l’histoire terrible de la famille Mannechez trouve enfin son épilogue : Denis Mannechez, le père, âgé de 56 ans, qui régnait en maître tout-puissant sur sa famille, est retrouvé mort d’un arrêt cardiaque à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes.
ll y avait été admis après avoir été condamné, trois jours plus tôt, à la réclusion criminelle à perpétuité par la cour d’assises de l’Eure pour un double assassinat, celui de sa fille, Virginie, âgée de 33 ans, et de l’employeur de cette dernière, Frédéric Piard, père de famille, âgé de 31 ans.
Le 7 octobre 2014, en fin de journée, Denis Mannechez s’introduit dans un garage à Gisors (Eure) où travaille sa fille depuis plusieurs mois comme mécanicienne. Il croise le gérant, Frédéric Piard, et le tue. Il abat ensuite froidement d’une balle dans la tempe, sa fille, puis retourne l’arme contre lui en se tirant une balle dans la tête. Plongé dans le coma, il se réveille, contre toute attente, quelques mois plus tard. Mais il n’est plus que l’ombre de lui-même. Il est hémiplégique et a perdu l’usage de la parole. Il ne peut s’exprimer qu’en clignant des yeux. C’est un homme affaibli et en fauteuil roulant qui est jugé, en décembre 2018 devant les assises de l’Eure.
Pour comprendre ce double assassinat, il faut replonger dans les tréfonds de l’histoire des Mannechez. À la fin des années 80, Denis, Laurence sa femme, et leurs trois filles et deux garçons, s’installent en Seine-et-Marne avant de déménager dans une immense propriété en bordure de la forêt de Compiègne, à Cuise-la-Motte dans l’Oise. Denis Mannechez, ingénieur, règne en tyran sur sa famille. Aux débuts des années 90, avec la complicité de sa femme, il entame des relations incestueuses avec ses deux filles, Virginie l’aînée et Betty, de deux ans sa cadette. Le regard du patriarche se porte d’abord sur Virginie, jolie blonde aux yeux bleus. C’est sa préférée, la « Duchesse » comme il la surnomme. À l’opposé, Betty, appelée Q Alfred », est le garçon manqué de la famille qui vit en vase clos. Très vite, Virginie prend la place de Laurence et devient la nouvelle compagne de Denis Mannechez. En 2002, ils ont un enfant ensemble.
Après la révélation des faits aux gendarmes, le couple Mannechez est condamné par les assises de l’Oise : Denis Mannechez écope, en 2011, d’une peine de 8 ans de prison sans mandat de dépôt. Une peine ramenée à cinq ans, dont trois avec sursis par la cour d’assises d’appel de la Somme en 2012.
Libre, Denis Mannechez part s’installer avec Virginie et leur fils à Plainville, dans l’Oise.
Se rendant compte que sa situation avec son père n’est pas normale et vivant avec un homme toujours plus oppressant et tyrannique, Virginie Mannechez organise sa fuite avec son fils, en septembre 2014. En attendant qu’elle obtienne un logement social, son employeur Frédéric Piard lui prête un appartement qu’il loue au-dessus de son garage. Après l’avoir traquée pendant trois semaines, malgré les fausses pistes que sa fille avait volontairement laissées derrière elle, son père la retrouve et l’assassine presque sous les yeux de leur fils, alors âgé de 13 ans, qui se trouvait à l’étage du dessus.
E. K.
Par Elise KERGAL
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